RICARD CANCANE A CANNES / 7

Publié le par ricard burton

cat-de.jpgVendredi jour saint, le mien. Plus que deux jours à me faire tirer. Ce matin c'est un des directeurs de Radio France qui est passé dans la chambre, où le moustachu a décidé de m'entreposer, pour m'inspecter. Il est très insolent ce directeur de station, méchant, terriblement blessant au sens physique du terme. Il me dit avoir voulu répliquer une scène du film « Cruising » avec moi, le Friedkin. Comme j'avais vu le film aux Philippines dans une version censurée, je ne me doutais pas de la violence des idées du type. On endure tout quand on veut gagner un peu d'argent et rajouter du beurre à son maïs. Mais aujourd'hui je ressemble à des fringues de tox tellement les brûlures de cigarettes qu'il m'a infligées me tachent la peau.


Ce matin, j'ai fini ma nuit devant le Apichatpong Weerasethakul. Et je n'ai pas été le seul puisque tous les festivaliers présents dans la salle ont terminé la séance les yeux collés par une nuit trop courte. Dommage il paraît qu'il s'agissait de la Palme, un film hypnotique et envoutant me dit un type de Charlie Hebdo, moi cela me fait plutôt penser à une pub pour esquimaux ces conneries. Mais c'est ma bile qui parle car il aura fallu que je me repose au mauvais instant pour voir me passer sous le nez ce que beaucoup disent être le premier bon film qui manquait cruellement à une sélection en tous points comparable à la contenance d'un slip de lépreux. Pour ne pas complètement rater l'événement, je me glisse à la conférence de presse où je découvre un réalisateur étrange, bien plus encore que ses films brumeux. Il déclare alors que la situation d'insurrection dans son pays, la Thaïlande, est une bonne chose car elle gardera, un temps, à distance tous les petits connards occidentaux de venir faire du surf, faire les fêtes de la full moon et défigurer son pays en plein restructuration. Pas un mal si les mumus prennent la main chez moi, dit-il. Et puis il dégoupilla une grenade qu'il lança en direction d'un journaliste de La Croix.


Sortie de ce capharnaüm, je me rendis sur la plage du Carlton pour assister à une day-party en l'honneur du prochain coup de manivelle du « Pirate des Caraïbes ». Avec toute la tune dépensée rien que pour cette fête outrancière où Johnny Depp but assez de vin pour nous faire deux AVC, il y avait de quoi financer un film d'Amalric et un autre de Garrel pour ainsi se les manger l'année prochaine. Car c'est cela Cannes, c'est du cinéma, de la dramaturgie qui ne s'étale pas sur dix jours mais sur dix ans. Frémaux sait très bien, par exemple, cette année qu'il a une sélection de merdes. C'est pensé ainsi car celui lui permettra de faire un coup d'éclat l'année suivante. Il nous lâchera un excellent film en clôture, une sorte de Cliffhanger qui gardera les festivaliers en haleine jusque l'année prochaine. Frémaux n'est pas bête, il a intégré depuis longtemps le système dramatique des séries télévisées en l'appliquant à sa manifestation: il faut des saisons pus faibles que les autres pour que les bonnes apparaissent surpuissantes. Autre règle du Festival, la sélection n'est qu'un camouflet. Elle n'existe pas vraiment. Quand Lynch, les Coen, Assayas, Cronenberg, les Dardenne, Angelopoulos, quand Loach, Leigh, Haneke, Tarantino, Wenders, Kusturica... et j'en passe, fabriquent un film, ils ne se donnent même plus le mal d'inviter Frémaux à la table de montage, il est envoyé et il est sélectionné de fait, c'est ainsi. Vous pouvez aller vérifier, chaque année comporte son lot de surprises et d'outsiders, certes, mais la quasi-majorité est abonnée à la Croisette. Car ne l'oublions pas, Cannes est une ville de vieux et le vieux n'aime pas que ses habitudes soient bousculées.


On approche maintenant clairement de la fin et en général c'est dans ces instants que la Palme se terre. Les derniers films vus ont les faveurs du jury. Alors il y a ce film thaïlandais bien sûr mais est-ce que ce nerd de Tim Burton accompagné de son jury au goût de gonorrhée seront capables de décerner le prix ultime à cette pépite ovnique devant laquelle tout le monde s'est endormi ?

Parce que sinon il y a l'option « Hors la Loi » du lutin Bouchareb, le Pontecorvo anémique, qui nous passe « Indigènes » au micro-ondes pour nous servir un sujet et des acteurs ramollis. Politique famélique, ennui profond, un réalisateur ne s'était pas plongé dans autant de ridicule depuis le « Vercingétorix », mais au moins, celui-ci n'était pas à Cannes. Alors oui je me plains un peu comme une putain qui n'aurait pas atteint son quota de passes sur la durée mais il faut bien avouer que tout ce grand barnum concentre en dix jours une grand part de la connerie humaine. Si je n'avais pas eu à payer pour chacune de mes entrées, mon discours aurait été différent, un peu comme tous ces gratteux qui participent à l'ébullition de la Croisette, achetés, vendus, et qui reviendront l'année d'après pour continuer à déverser leur fiel parce qu'ils n'ont pas d'autre lieu où le faire couler et que rien dans leurs vies n'aura bougé. J'espère que cela ne sera aucunement mon cas et que je n'ai pas été qu'un bout de barbaque tendre et exotique pour mon moustachu, qui de retour à Paris, aura tout intérêt à me faire sa demande de PACS s'il ne veut pas finir dans un sac en toile de jute au fonde de la Seine. 

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